- Autour de l’avant-deux de travers
- Autour de la valse
- Autour du Rond de Landeda
- Autour de la Scottish
- Autour de la Gavotte
- Autour de « Ridée » et « Laridé »
Principalement dansés en Haute Bretagne, où ils ont remplacé les branles anciens, les avant-deux appartiennent à la famille des contredanses. L’Histoire de ces danses témoigne de la grande mobilité, sociale et géographique, de cette pratique culturelle. C’est aussi, d’après Jean Michel Guilcher, une petite révolution dans l’histoire de la danse: des danses à figures qui succèdent aux danses de pas du moyen age, une recherche d’échange entre partenaires qui succède à la recherche d’unité, de fusion dans la communauté, typique des branles traditionnels.
Il n’y a pas de consensus sur l’origine du mot. Pour les uns, « contre-danse » renvoie au dispositif où danseurs et danseuses se font face. Pour d’autres, le mot est la transposition en français de l’anglais « country dance » qui nous rappelle que ces danses étaient pratiquées dans les campagnes anglaises dès le XIVème siècle. Mais elles étaient aussi fort appréciées à la cour d’Elisabeth Ier. En 1651, l’imprimeur londonien Playford n’en décrit pas moins de 105 versions dans son fameux « English dancing master », un des premiers manuels de danse, et c’est encore un britannique, Isaac d’Orléans, qui l’introduit en France sous le règne de Louis XIV.
Plus gaies et moins empesées que les danses de cour, les contredanses anglaises vont bien vite faire la joie de courtisans de Versailles, tout en s’adaptant aux coutumes locales. Les maîtres de danse français comme André Morin, s’attachent à polir cette danse un peu rustique et créent la « contredanse française » qui envahit toutes les cours d’Europe au XVIIIème siècle. Comme son ancêtre britannique, la contredanse française est une « danse à figures » avant tout. Au « long way » d’outre manche, les français préfèrent un dispositif en carré de deux ou quatre couples, quadrette, quadrille et cotillon. Les maîtres français imposent également des pas baroques qui mettent en valeur la virtuosité des danseurs: pas de bourrée, pas de gavotte etc…Sous la révolution et l’empire le quadrille français devient, avec la valse, la danse de bal par excellence formée dune suite de cinq figures: le pantalon, l’été, la poule, la pastourelle et la finale.
Et c’est de la figure de l’Eté que viendrait l’avant deux pratiqué en Bretagne et dans les régions voisines. L’avant-deux, ou plutôt ‘les’ avant-deux tant cette danse s’est diversifiée à l’extrême en se diffusant dans les campagnes de l’Ouest et notamment en Loire Atlantique où les collecteurs des cercles celtiques ont cru pouvoir distinguer les avant-deux des Touches, de Saint Herblon, de Saint Géréon, de Carquefou, de Chateaubriant, de Trans sur Erdre etc… Marc Clérivet met en garde contre la tentation de considérer ces danses comme des danses de terroir comparables aux gavottes de Basse Bretagne. Presque toujours, les danseurs traditionnels se laissaient aller à bien des fantaisies et variations et pouvaient adapter leur façon de danser aux circonstances et aux partenaires. Les films tournés à l’occasion de collectes montrent une grande variété de pas (glissés, marchés, en saut de pie…) pour une même version-type, parfois pratiqués par les mêmes danseurs. Souvent aussi, c’était au musicien de « commander » aux danseurs les figures à exécuter ou le dispositif à adopter. L’art de commander était aussi celui de commenter malicieusement les bourdes et maladresses des danseurs. Blagues et piques ont toujours été appréciées d’un public rieur et bon enfant.
A Nantes, l’avant-deux le plus pratiqué en fest-noz correspond à une forme collectée dans le pays d’Ancenis. Comme partout, c’est une succession de figures élémentaires : l’avant-deux proprement dit, qui mobilise deux des quatre danseurs en vis à vis, puis deux figures pratiquées par les quatre danseurs simultanément: un balancé (ou valsé) en couple fermé, puis un avant-quatre. Le « de travers » renvoie au déplacement des danseurs dans la première figure, il s’oppose à l’avant-deux en long où les danseurs avancent, reculent, permutent etc…
(*) Sources de Rémy
– Marc Clérivet, « Danse traditionnelle en Haute Bretagne, Traditions de danse populaire dans les milieux ruraux gallos 19ème-20ème siècles » , Edition Dastum / PUR, Rennes, 2013.
– Site : « Autres temps, autres danses », https:// www.atad.asso.fr/histoire-de-la-danse/la-contredanse
– Site: Danse anciennes à Montréal, revivre l’histoire par la danse », http://www.dansesanciennesamontreal.com/Danses/danse-anglaise.html
– Article de William Lemit sur la thèse de Jean Michel Guicher: « La Contredanse Française, ses Origines, son évolution », in Arts et traditions populaires 12ème année, N°1(Janvier-Mars 1964), pp.77-79 (3 pages) – Article de Marc Clérivet sur l’avant-deux dans l’ouvrage collectif « Musique, Danse Traditionnelle et Territorialité », Arts vivants, Rennes.
2. Autour de la valse
Certains d’entre vous se posent peut-être la question, et même s’en inquiètent. D’autres affichent une belle indifférence, mais voudraient bien savoir : irons-nous en enfer pour avoir dansé la valse ? C’est que depuis son apparition en Autriche au XVIIIème siècle la valse a été maintes fois condamnée par les autorités morales, religieuses et mêmes médicales. Sur ce point au moins catholiques et protestants étaient d’accord : la valse est diabolique ! comme toutes les danses du reste, mais un peu plus ! Que de livres publiés, de sermons, prononcés et de gravures diffusées pour dénoncer son caractère malsain/malin/maléfique ! Icône du clergé catholique du XIXème siècle, Jean Marie Vianney, curé d’Ars appelait la danse » le péché parfumé « . « Il n’est pas un commandement de Dieu » disait-il « que la danse ne fasse transgresser » !
Que lui reprochait-on au juste ?
L’Eglise, depuis l’antiquité, condamne la danse elle voit une survivance des cultes païensqu’elle cherche à éliminer et qui sont profondément enracinés dans les mentalités, notamment dans les campagnes.
Une très vieille danse païenne/paysanne est d’ailleurs un ancêtre possible de la valse. C’est une danse bavaroise un « Shuhplatter », décrite dans un poème de 1023 (2). La danse commence par une imitation de parade nuptiale entre deux oiseaux, se poursuit par une rotation endiablée (dans la position des danseurs de valse) pour terminer par une figure spectaculaire au cours de laquelle le cavalier projette sa cavalière en l’air. Rien qu’une danse? On peut y voir plus d’un rite: le mouvement circulaire rappelle les plus anciens cultes reproduisant, sur terre, la course des étoiles. La première partie évoquèe, animale/animiste a quelque chose de « chamanique ». Quant à la figure finale, certains ethnologues l’interprètent comme un rite de fertilité. Plus la danseuse volait haut, plus la récolte serait abondante. Il y a là tout ce que l’Eglise médiévale condamnait comme païens. Certes notre valse viennoise est assez éloignée du Shuhplatter médiéval, mais elle n’en est pas moins désignée comme « bacchanale » (danse en l’honneur de Bacchus) dans un journal publié en 1797 (3) qui stigmatise ceux qui s’adonnent à cette nouvelle mode.
Une façon de discréditer les danseurs était de les présenter comme « possédés » du démon. Quand la valse se diffuse en Europe, le souvenir est encore vif de la chasse aux sorcières » qui fit des milliers de victimes au XVIIIème siècle. Les traités de démonologie de l’époque y dénonçaient avec force les sabbats, danses au cours desquelles les sorcières s’accouplaient avec le démon.
C’est peut être cette même hantise du démon qui inspirent ceux qui fustigent la « valsomanie » qui s’empare, vers 1800 des amateurs de danse (4). Le terme désigne alors l’acte dans lequel la danse plonge les jeunes qui oublient tout, fatigue, obligations quotidiennes, pour se livrer à leur passe temps favori. On met en garde, le premier pas de valse est un pas vers l’enfer. C’est ce qu’exprime le témoignage de T.A.Faulkner: « From the ball-room to Hell » (5). Dans le rôle du diable, on y trouve un personnage redoutable: le danseur-séducteur qui entraîne les jeunes filles sur les entiers de la perdition. Emma Bovary ne s’en est pas relevée.
La danse elle-même n’est-elle pas une sorte d’exhibition érotique? Danse de couple, la valse tranche sur les autres danse de l’époque par deux caractéristiques majeures jugées également indécentes, la prise serrée et le « pivot »: c’est une danse qui tourne d’où son nom de valse qui vient de l’allemand Walzen, tourner. Non seulement les danseurs se tiennent très près l’un de l’autre, face à face, tout au long de la danse, mais l’homme pose la main sur la taille de la cavalière, et ensemble… ils tournent. Que n’a-t-on pas écrit sur les effets pervers de ce mouvement rotatif ! Outre qu’il dévoile un peu de l’anatomie féminine, (la robe se soulève légèrement)! il était sensé plonger les danseurs dans un vertige propice aux débordements les plus fâcheux. Raison suffisante pour réserver la valse aux femmes mariées ou a celle dont la vertu était attestée par de vigilantes douairières. Au XIXème siècle, des médecins ajoutent leur pièce au réquisitoire anti-valse décrivant le vertige et l’acte de confusion qui en résulte. Saint Ursin rebaptise la prise fermée « les bras de la mort » et met en garde contre les pathologies pouvant d’écouler d’une pratique trop régulière: phtisie pulmonaire, clitorimanie, nymphomanie, érotomanie etc…(4) Bref la valse fait perdre la tête …
Et pourtant la valse s’est répandue au XIXème siècle.
Est-ce à dire qu’un vent de liberté sexuelle a soufflé sur l’Europe? Certainement pas. La valse triomphe dans une Europe réactionnaire et puritaine, pour ne pas dire pudibonde. Comment expliquer ce paradoxe? C’est que si les règles sont strictes, la façon de les faire respecter a changée. Au moyen âge, il revenait à la communauté villageoise de contrôler ses membres, ce que reflète la prédominance des danses en ronde où chacun tient son voisin, où l’on marche d’un même pas. A l’époque moderne et contemporaine ,c’est de plus en plus à l’individu de se contrôler lui-même, de refréner ses pulsions, de veiller à ne pas brusquer ni offenser l’autre. Or qu’elle meilleure école de « self control » que la danse ? Le bon danseur de valse, en effet, est l’opposé d’une brute: il ne contraint pas, il conduit ; il touche, mais ne caresse pas. Il tient sans étreindre, bref, il se comporte en gentleman. Comme le rappelle Alain, « la danse n’est au fond qu’une politesse », et son apprentissage permet à l’individu de se faire son propre maître. Ainsi, la naissance et la diffusion de la valse apparaît comme un véritable tournant dans l’histoire de la civilisation occidentale, celui de l’émancipation de l’individu… de sexe masculin. Car c’est bien à l’homme, et à l’homme seulement qu’il revient alors de mener la danse et d’exercer son pouvoir sur sa cavalière.
L’Europe de la valse est aussi celle du corset qui enserre et emprisonne la femme.
Sources de Rémy :
(1) Abbé Jean-Luc Laffite, « Que penser de la danse ». dame-marie.e-monsite.com
(2) Mark Knowles, « The wicked waltz and other scandalous dances ». Mc Farland & Co Inc, 2009
(3) Elisabeth Claire, « Pratiques de danse et discours de genre, une histoire connectée » in « Clio, Femmes, Genre, Histoire », N°46. 2017
(4) Elisabeth Claire, « Inscrire le corps révolutionnaire dans la pathologie morale: la valse, le vertige et l’imagination des femmes », 2013
(5) T.A. Faulkner, « From the ball-room to hell », 1984
(6) Alain, « Système des beaux arts », 1926
Ancien directeur d’une salle de bal, l’auteur décrit l’effet pernicieux de la danse sur les jeunes gens, et en particulier les jeunes filles.
3. Autour du Rond de Landeda
Le rond de Landeda nous conduit tout là bas, au bout du bout du monde, dans le Léon.
Le Léon est un de ces très anciens « Bro », royaumes fondés par les princes et missionnaires bretons exilés d’outre Manche aux Vème et VIéme siècles. Au Moyen âge, c’est tout à la fois un fief (Kemenet) autonome du duché de Bretagne: la Vicomté de Léon, et un des neufs diocèses bretons, celui de Saint Pol de Léon. C’est aussi un espace linguistique: celui du Léonard (ou Léonais): une des quatre branches du breton.
Peu étendu, le Léon n’en est pas moins varié. A dire vrai, c’est comme une Bretagne en réduction, divisé lui aussi en deux: le bas et le haut Léon que sépare l’embouchure de l’Elorn. On y danse à peu près tout ce qui se danse en Bretagne. Le Haut-Léon est le pays de la « dans leon« , une des rares danses bretonnes qui présente le dispositif en « double front ». Le Bas Léon est une terre de gavotte, de toutes les gavottes, en ronde, en cortège et même en couple. Ça et là, sur la côte, on pratique la ronde aux trois pas que les marins ont semé sur le littoral breton et au delà, sur l’île d’Yeu et jusqu’à Biscarosse en passant par l’estuaire de la Loire donnant peut être naissance au rond de Sautron. Quant au rond de Landéda, c’est une des rondes léonardes qui s’apparentent aux ridées et laridés que l’on affectionne tant dans le pays vannetais.
Dans le Léon, au temps de la tradition populaire, tout était prétexte à danser, et à chanter. On dansait sur la grève, après la récolte des goémons, sur le pont des bateaux entre deux manœuvres, sur les aires à battre pour tasser l’argile fraîche, et pourquoi pas aussi les ajoncs que l’on donnait à manger aux chevaux, d’où le nom de « Piler lann » donné parfois dans le Léon. Mais c’est sans doute une légende.
L’accompagnement favori était le chant à répondre. Jean Michel et Hélène Guilcher ont décrit en 1952 le déroulement de la ronde aux trois pas, sans doute semblable à celui du rond de Landeda. Dans un premier temps, les danseurs se tenaient, par le petit doigt, immobiles et silencieux, les bras levés, puis les baissaient tous ensemble, les balançant fortement d’avant en arrière deux, trois fois, quatre fois, avant que la ronde ne s’ébranle et que les danseurs ne prennent le rythme, au seul son des sabots. Enfin, un des danseurs annonçait une chanson puis entonnait en solo la première phrase. Les autres lui répondaient en chœur, et avec cœur ! La danse ne s’interrompait pas forcément à la fin du premier chant. Les danseurs poursuivaient sur le même rythme, quelqu’un annonçait une seconde chanson puis l’entonnait et ainsi de suite. Cela pouvait durer des heures sans interruption. La danse agissait comme un charme : « Quand on se sentait triste ou malade, disait une vieille femme d’Ouessant, on organisait une danse ronde, et cela allait mieux après.«
(*) Sources de Rémy
– Guilcher J.M. « La tradition de danse populaire en Basse-Bretagne », coop Breizh, 1997
– Guilcher H, Guilcher J.M. « La danse ronde en Léon. In: Annales de Bretagne. Tome 59, numéro 1, 1952.
– Soubigou J.P. « Le Léon dans la Bretagne des Xe-XIe siècles (Kemenet et vicomté) « annales de Bretagne et pays de l’ouest, n°120 – 2013
4. Autour de la « Scottish » (ou scottishe)
Gravure illustrant le chapitre la salle Markowski
dans « les Cythères parisiennes ».
Tout le monde connait le tango, danse des faubourgs miséreux de Buenos Aires et Montevideo qui acquit ses lettres de noblesse au début du XXème siècle à Paris, peu avant la première guerre mondiale avant de se diffuser dans les salons bourgeois du monde entier. Il en va ainsi de nombreuses danses et traditions paysannes qui ne purent ‘décoller’ qu’après un passage en métropole, au risque de perdre leur accent du terroir, d’oublier leurs origines. Telle faillit être l’histoire de la Scottish.
La Scottish, comme ses cousines Valse, Polka, Mazurka, nous vient d’Europe centrale,mais c’est dans les bals parisiens et londoniens qu’elle fit parler d’elle au milieu du XIXème siècle. Un ouvrage de 1860 en attribue la paternité à un immigré polonais: Markowski. Avant de devenir le « prince des nuits parisiennes », Markowski, relieur de son état, épatait les clients des bouges parisiens en exécutant prestement des danses de son pays natal. Il pensa alors pouvoir s’enrichir de ce don, …en vain. Pendant des années, il vécut chichement en courant le cachet puis en donnant des cours de danse. En 1848, il obtint la direction des bals d’Enghein puis ouvrit en 1857 son propre cabaret : « la salle Markowski » dans une ancienne grange de la rue Buffault où les noceurs parisiens venaient s’encanailler au contact des ‘cascadeuses’ de Markoxski : Finette, Nini belles dents et la célèbre Marguerite Badel dite la Huguenote dite Marie la Gougnotte dite la Rigolboche, reine du chahut-cancan et du grand écart. Notre maître danseur y gagna un surnom peu flatteur, que l’on peut facilement retrouver en inversant les troisième et quatrième lettre de son nom. Danseur, aubergiste, Markowski se fit compositeur et chorégraphe. On lui doit sans nul doute la « Friska », la « Lisbonienne », peut-être aussi la « Hongroise » et aux dires de certains également la « Scottish ». Il devint ainsi une figure du tout Paris, vécut grand train, se ruina puis retomba dans l’oubli avant de mourir misérablement en 1882.
Markowski, inventeur de la Scottish ? Pas sûr !
En effet, comme nombre de compositeurs du XIXème siècle, Markowski a su puiser dans le répertoire inépuisable des danses folkloriques d’Europe Centrale, et plus précisément de la vallée du Rhin et de Bavière. Dès les années 1840, notre danse y était pratiquée et connue sous les noms de Rheinlander, Polka Bavaroise ou, plus simplement Polka allemande. Le Paris de l’époque comptait alors une importante colonie allemande ; artistes francophiles (Heinrich Heine), révolutionnaires de tout poil (K. Marx), strictes gouvernantes et paysans déracinés dont Markowski partagea peut-être l’existence misérable … et les danses populaires.
Malgré ses origines allemandes, c’est en tant que « Scottish » (ou Scottishe) que cette danse s’est rapidement diffusée dans toute l’Europe et jusqu’en Amérique du nord induisant en erreur des générations de danseurs sur sa nationalité. Peu d’auteurs fournissent une explication acceptable de cette appellation somme toute exotique. La plus vraisemblable est qu’elle est un des multiples aspects de la « celtomanie » des milieux romantiques de la première moitié du XIXème siècle. L’Europe se passionne alors pour les romans historiques de Walter Scott (Ivanhoé) et les légendes du barde écossais Ossian, tout aussi commentées (et critiquées) que le Barzaz Breiz de la Villemarqué. L’appellation « Polka allemande » aurait disparu dans la fièvre nationaliste anti-germanique de 1914 qui transforma aussi le café viennois en café liégeois, St Petersbourg en Petrograde et qui rebaptisa la famille royale britannique: Windsor faisait moins « boche » que Saxe Cobourg Gotha !
NB: Comme la Scottish, d’autres danses portent des noms trompeurs sur leurs origine: la Cochinchine n’a rien d’asiatique; c’est une danse danoise. La Chapelloise (de la Chapelle des Bois) doit son nom à un trou de mémoire d’un prof de danse, incapable de se rappeler le nom de l’Alamn’s marsj, venue de Suède…
A dire vrai, il peut sembler un peu stérile de chercher à attribuer une origine certifiée à des danses dont le propre est de voyager et de se réinventer partout en Europe et dans le monde.
(*) Sources de Rémy
– Capering & Kickery : « The early scottishe », 2008.
– Marshall, « Play me something quick and devilish: Old time fiddlers in Missouri » 2012.
– Zorn, « Grammar of the art of dancing », Boston 1905.
– Markowski et ses salons. Esquisse parisienne. Scènes du demi monde…Paris 1860
– Alfred Delvau : « Les Cythères parisiennes, histoire anecdotique des bals de Paris », Paris 1864.
– Albert Wolff, « la Haute Noce », Paris 1885-
– Camille Paillet, » La féminisation du chahut-cancan sous le Second Empire parisien, L’exemple de Marguerite Badel dite la Huguenotte dite Marie la Gougnotte dite Rigolboche « , 2015
5. Autour de la « gavotte »
Le visiteur étranger qui entend parler pour la première fois de la « Gavotte des montagnes » se pose souvent la question: Pourquoi les Montagnes ?
Des montagnes en Bretagne ?? En fait, la véritable question vient plutôt de la « gavotte ». Le mot désigne en effet bien des pratiques culturelles. Aujourd’hui, on l’assimile avant tout aux suites de danses pratiquées à l’origine en basse et haute Cornouaille, mais Jean Michel Guilcher rapporte que le même mot de Gavotte était utilisé à Pont-Scorff pour désigner un « en dro ». En pays gallo, gavotter renvoie à une pratique d’accompagnement par un chanteur déambulant auprès des danseurs.
Hors de Bretagne, la gavotte fut une danse très appréciée sous l’ancien régime, d’abord au théâtre, puis dans les bals de la cour, mais cette danse « sautée » plus que « glissée » avait peu à voir avec les danses bretonnes. Enfin, on sait que Bach, Lully et d’autres baroques composèrent d’élégantes gavottes.
Alors d’où vient-elle ? Où va-t-elle cette gavotte ? Le mot fut employé à Versailles bien avant d’arriver en basse Bretagne où il se répand progressivement au XIXème pour désigner des danses bien plus anciennes, héritières des branles médiévaux souvent appelés « dans tro » (danses qui tournent) en breton.
Pourquoi alors les qualifier de gavottes ? L’explication peut nous être donnée par l’étymologie: d’après le Larousse, gavotte vient du mot provençal « gavotto » désignant la danse du pays Gavot, la danse des « montagnards » de haute Provence (capitale Gap). Dans tout le domaine occitan, ce mot de gavot désigne pareillement des habitants des hautes terres. En Languedoc, le Gavot était le paysan cévenol. En gascon, le « gabatch » c’est le montagnard des Pyrénées… Ainsi notre » gavotte des montagnes » pourrait se traduire par « danse des montagnards… des montagnes ». Problème : le terme est bien utilisé en Cornouaille mais la région où il s’est le plus tardivement implanté est précisément la partie vallonnée entre les Montagnes Noires et les Monts d’Arrhée.
Le mot « gavot » a, partout où il a été employé, une autre signification que » montagnard ». Il exprimait aussi le mépris des gens des villes et des plaines pour les populations pauvres des montagnes, qu’on disait arriérées. Ne parlait-on pas aussi d’un « crétin des Alpes ». En provençal, le gavot, c’est aussi le goitreux, que le manque d’iode a condamné a une infirmité visible et infamante. Les bas bretons, hélas, ont été longtemps l’objet de tels jugements condescendants, voir insultants. Peut-être doivent-ils à leur triste réputation d’avoir été, eux aussi, qualifiés de « gavots » et, par extension, leur danse de « gavotte » ?
Nul ne sait, et peu importe. La gavotte au Fest Noz a gagné ses lettres de noblesse.
(*) Sources de Rémy :
– Jean Michel Guilcher : La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Coop Breizh-Chasse-Marée/Ar Men, 1995.
– Marc Clérivet : Danse traditionnelle en Haute-Bretagne, Traditions de danse populaire dans les milieux ruraux gallos, XIXe-XXe siècles, Presses Universitaires de Rennes.
– Dictionnaire étymologique Larousse:
Article: « Danses sous l’Ancien Régime: de la Pavane à la Gavotte, en passant par la Courante, le Passe-Pied et le Menuet D’après « Revue de la Société des études historiques », paru en 1897 et publié sur le site « La France pittoresque ».
6. Autour de « Ridée et Laridé »
L’élaboration et la diffusion de ‘la’ Ridée ou ‘du’ Laridé témoigne de la vitalité culturelle des campagnes bretonnes dans la seconde moitié du XIXème siècle. Le terme « Ridée » ou « Laridé » vient peut-être des « Laridé ! Laridon ! Laridaine! » qui émaillaient nombre de chansons à la manière de nos tralalalalères. Au XIXème siècle, il ne désigne pas à proprement parler une danse, mais bien plutôt un répertoire assez divers, en phase d’élaboration. La « fin de la tradition populaire » au début du XIXème siècle n’aura pas permis d’aboutir à une forme-type faisant consensus dans l’ensemble de son territoire.
Celui-ci correspond à l’aire de diffusion des branles anciens du Vannetais: En Dro, Hanter Dro et Pilée Menue, soit les deux tiers du département du Morbihan, aussi bien en pays gallo qu’en pays bretonnant. Là, une nouvelle façon de danser apparaît et se diffuse, sans doute d’est en ouest, caractérisée par la vigueur des mouvements de bras. On l’appelle alors volontiers la Ridée à deux coups ou trois coups en fonction du nombre de balancés avant-arrière qui précède le repli du bras. Aujourd’hui on parle plutôt de Ridée six temps ou de Ridée huit temps (ou Laridé).
L’attention du danseur étant toute focalisée sur le mouvement de bras, on ne s’étonnera pas de l’extrême simplicité des pas, comparable à ceux de l’Hanter Dro auxquels on aurait ajouté un déplacement latéral (ou deux selon le nombre de balancés).
Le territoire de la Ridée six temps n’est pas continu. De l’ouest de Vannes à la pointe de Gavres au sud, et de Josselin à Baud et Languidic au nord, domine la Ridée huit temps, ou Ridée à trois coups, ou Laridé. Puis la Ridée six temps réapparaît plus à l’ouest, dans le pays d’Hennebont. Jean Michel Guilcher voit là l’influence d’une autre danse, pratiquée plus au nord, dans le pays de Pontivy. Le Laridé y est un des termes d’une suite comprenant plusieurs danses conformément aux modèles de la Gavotte de Cornouaille. Le Laridé pontivyen est une ronde à huit temps, très différente des Ridées que nous connaissons. Des mouvements de bras très limités, un pas assez complexe, tremblé et même vibré qui pouvait donner l’impression que les danseuses glissaient littéralement sur le sol. Au cours du XIXème siècle, ce Laridé déborde vers le sud, jusqu’au littoral. Là, il s’hybride avec la Ridée venue de l’est, au point d’en devenir méconnaissable. Sans doute aurai-il fini par disparaître si la tradition populaire avait pu durer plus avant dans le XXème siècle.
(*) Sources de Rémy:
– Jean Michel GUILCHER: La tradition populaire de danse en Basse Bretagne, Coop Breizh-Chasse marée/Ar Men, 1995
– Marc CLERIVET : Danse traditionnelle en Haute Bretagne, Traditions de danse populaire dans les milieux ruraux gallos, XIXè-XXèmes siècles, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
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